Rencontre avec le sociologue Jean-Michel Peter du laboratoire Cerlis, Université Paris Descartes. La sociologie de l’engagement bénévole en France est un de ses principaux thèmes de recherche.
Comment avez-vous été amené à travailler sur le sujet du bénévolat associatif ?
Initialement, je travaillais plutôt dans le domaine du loisir et du sport. Ma thèse portait ainsi sur l’autoformation et les pratiques sportives dans les temps de loisirs. J’ai ainsi étudié les apports de l’engagement sportif pour les individus. On voit bien que les gens qui s’investissent corporellement et de manière régulière dans une activité, peuvent acquérir différents types de compétences, à la fois académiques, mais également, non formelles, intuitives : apprendre à avoir confiance en soi, gérer son stress, des choses que l’on peut transférer ensuite dans sa vie professionnelle et quotidienne. Ce sont des aspects que l’on ignore et qu’on ne met pas assez en avant. Dans le domaine du sport, on s’aperçoit que la formation ne se fait pas seul, on se forme avec les autres, dans le cadre d’une association sportive. L’association devient donc un support permettant l’échange réciproque de savoirs, la communication, (…) d’ailleurs, les différences, comme les classes sociales, peuvent être ainsi gommées temporairement. Dans notre société, nous observons que les temps de loisirs se sont développés et sont d’ailleurs devenus des temps pas si futiles et pas si anodins. Et l’engagement associatif peut à ce titre être considéré comme une piste innovante de transformation de la société.
Femmes et hommes s’engagent-ils autant ? Et s’engagent-ils sur des thématiques similaires ?
Aujourd’hui, ce sont surtout les associations sportives et de loisirs qui ont la plus grosse croissance, elles représentent plus d’un quart des associations, c’est assez énorme. Evidemment, il y a toutes les associations humanitaires qui sont également très présentes. Mais la question importante c’est aussi de savoir qui est membre d’une association, qui sont les bénévoles ? Sur ce sujet, on peut constater que les femmes sont sous-représentées. Elles sont moins enclines à être membres d’une association en nombre quantitatif brut. Par contre, elles sont plus bénévoles dans certains secteurs : l’éducation et le sanitaire. Ce sont des clivages assez répandus. A l’inverse, dans le domaine du sport c’est très masculin ; quoi qu’il faille nuancer car il existe des fédérations françaises, comme la gym volontaire où l’on trouve 90% de femmes avec une présidente. Soit dit en passant, sur 102 présidents de fédérations, on compte seulement 2 présidentes en France. On voit bien qu’il y a du travail, que c’est un monde encore dominé par les hommes, même si c’est en train de bouger.
Les motivations des femmes et des hommes sont-elles les mêmes ?
Dans deux études que j’ai pu mener dans le cadre du Cerlis/UMR/CNRS, nous nous sommes intéressés aux bénéfices apportés par le fait de s’engager comme bénévole. Dans le discours des femmes, il y a avait une forte part accordée aux contraintes, notamment en terme de gestion du temps libre. Les femmes ont moins de temps de loisirs que les hommes : aller chercher les enfants à l’école, s’occuper du repas. Même pour celles qui s’engagent, cela reste une source de préoccupation. Par ailleurs, les femmes s’engagent plus facilement dans le sanitaire et social et dans ce secteur, l’engagement est très coûteux sur le plan psychologique, la charge émotionnelle est plus forte. Cependant, on retrouve quand même dans l’engagement bénévole des femmes une tentative de sortir de ce premier constat. D’une part, d’avoir plus de loisirs, de pouvoir choisir leur engagement. Puis, d’autre part, le désir de développer une passion, un plaisir pour soi-même, d’en profiter pour acquérir des compétences, faire des choses que l’on n’a pas l’habitude de faire, de se transformer, d’apprendre à écouter les autres. Une activité bénévole peut être très formatrice en ce sens. Par ailleurs, il y a aussi l’envie de lien social, de créer des relations, de connaître des individus que l’on n’aurait pas connu sans l’associatif. Il n’est pas anodin de constater que les membres des catégories sociales favorisées plébiscitent l’associatif pour cette raison, pour développer leurs réseaux.
Quelles sont les évolutions de l’engagement bénévole en France ces dernières années ?
Chez les jeunes femmes, il y a certaines évolutions. Nous sommes dans une période de crise économique et donc, tout ce que l’on peut rajouter dans les portfolios de compétences (qui sont presque parfois des stages déguisés) sont plébiscités. Ce que nous disent les plus jeunes, c’est que l’associatif permet de prendre des responsabilités fortes. Et ceci est en faveur des femmes, ce sont des tremplins qu’il ne faut pas ignorer. Pendant très longtemps, les femmes étaient cantonnées à des rôles subalternes : animer le buffet d’une kermesse, avoir des missions de secrétariat, etc. Avant, il y a avait assez peu de femmes à des tâches de présidences ou de trésorerie, et ceci est en train de changer chez les jeunes. Néanmoins, il est vrai que ces femmes qui commencent à s’affranchir de ces codes et stéréotypes sont souvent des femmes diplômées qui font valoir les compétences qu’elles ont déjà acquises par leurs études ou professions, pour asseoir leur autorité. Une autre mutation que l’on observe, c’est la dimension individuelle du bénévolat. On ne s’engage plus uniquement parce qu’il y a une bonne cause, le projet est plus individualisé. Hommes et femmes ne sont pas égoïstes mais ils doivent désormais vraiment trouver un intérêt pour s’investir. C’est un temps de loisir, et les femmes le disent de plus en plus. D’ailleurs, elles peuvent faire changer les choses à l’intérieur des associations ; faire de l’engagement bénévole ne signifie pas d’être corvéable à merci, on revient à l’idée de budget temps, il y a ce que je suis capable de donner, mais il ne faut pas que cela soit au détriment de mes choix personnels. Les femmes le revendiquent (les hommes aussi d’ailleurs) ; et même de plus en plus les retraités. Ce n’est pas parce que l’on est à la retraite que l’on ne peut pas disposer d’un temps pour soi. Ce qui ressort aussi, surtout chez les femmes, c’est une diminution d’une vision religieuse du bénévolat (mission caritative par des femmes de milieux bourgeois). Cela existe toujours, mais il y a un affaiblissement de ce type d’engagement. Par ailleurs, avant, il y avait une dimension familiale relative au bénévolat ; alors qu’aujourd’hui, les jeunes entrent aussi dans l’associatif via des sollicitations d’amis.
Quels sont les profils des hommes et femmes qui choisissent le bénévolat ? (CSP, âge, etc.)
Il est vrai que les femmes qui ont la possibilité de faire bouger les choses dans le bénévolat sont celles qui sont les plus diplômées. Elles sont valorisées et vont pouvoir prendre des responsabilités plus rapidement. Pour les autres cela sera plus dur (mais tout comme cela peut l’être pour les hommes). Il y a une chose à étudier c’est l’arrivée des chômeurs dans l’engagement, c’est un paradoxe. Ils sont dans l’attente d’un emploi mais pour autant, ils n’ont pas envie de perdre leur temps et désirent s’investir dans une association. Je connais des cas masculins, mais cela serait intéressant de se poser la même question du côté des femmes.
Propos recueillis par Marion Braizaz
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